Benoît Melançon
Département des littératures de langue française
Université de Montréal
Laurent Mailhot était professeur émérite du Département des littératures françaises de l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1963 à 1997. Il est mort le 4 janvier 2021 à 89 ans. Je voudrais saluer, en quelques lignes, la mémoire d’un chercheur d’exception, qui était aussi un mentor et un ami.
Nul québéciste ne peut ignorer les travaux de Laurent Mailhot. Il maîtrisait comme personne l’ensemble de la littérature québécoise, ainsi qu’il le démontre continûment dans La littérature québécoise depuis ses origines (1997), version augmentée et revue de fond en comble d’un ouvrage de la collection « Que sais-je ? » (1974). Ce manuel à l’écriture si personnelle a été consulté par des milliers d’étudiants du Québec et d’ailleurs.
Son anthologie La poésie québécoise des origines à nos jours, préparée avec son collègue, ami et ancien étudiant Pierre Nepveu, d’abord parue en 1980, a été rééditée deux fois (1986, 2007). Laurent Mailhot a aussi conçu des anthologies de genres moins légitimés, le monologue, avec Doris-Michel Montpetit (1980), et l’essai (1984 ; réédition revue et augmentée en 2005). Son choix de textes d’Arthur Buies, en 1978, a rendu à cet écrivain, jusque-là considéré comme mineur, la place capitale qui devrait être la sienne dans le corpus des lettres canadiennes du XIXe siècle.
Laurent Mailhot a aussi étudié des textes dramatiques. Le théâtre québécois. Introduction à dix dramaturges contemporains (1970) et Théâtre québécois II. Nouveaux auteurs, autres spectacles (1980), cosignés avec son collègue Jean Cléo Godin, paraissent au moment où ce genre est en pleine ébullition. En historien qu’il était, il s’intéressait aussi à des pratiques plus anciennes, par exemple aux Fridolinades de Gratien Gélinas qu’il a éditées en deux volumes (1980 et 1981).
Quelques-unes de ses études sur le genre romanesque ont été regroupées, en 1992, dans Ouvrir le livre. Au fil des ans, il a écrit sur les œuvres en prose d’Yves Thériault, pour lequel il avait une affection particulière, de Jacques Poulin, de Michel Tremblay, de Jacques Ferron, de Gabrielle Roy, de son ami Gilles Marcotte et de plusieurs autres.
Cette « sorte d’ogre qui se nourrissait de papier », pour reprendre les mots du journaliste Jean-François Nadeau dans Le Devoir du 6 janvier 2021, cet amoureux de la littérature québécoise, était aussi un lecteur fervent de la littérature française. Sa thèse de doctorat, soutenue à Grenoble, a paru en 1973 sous le titre Albert Camus ou l’imagination du désert. Dans le bel autoportrait qu’il a rédigé en 2007 pour le magazine Lettres québécoises, il se demandait à lui-même quels livres il emporterait sur une île déserte et il répondait par trois œuvres : À la recherche du temps perdu de Proust, les fables de La Fontaine et les tragédies de Racine (sur lesquelles il avait fait son mémoire de maîtrise). Ne s’étonneront de ce choix que ceux qui ne connaissaient pas Laurent. (Non sans malice, il aurait conservé trois livres de poésie dans une « île voisine » : Regards et jeux dans l’espace, de Saint-Denys Garneau, Le tombeau des rois, d’Anne Hébert, et L’homme rapaillé, de Gaston Miron.)
S’il aimait bien employer l’expression « homme de cabinet », Laurent Mailhot n’en était pas un, lui qui a participé à plusieurs entreprises collectives. Je n’en retiendrai que deux.
À la fin des années 1970, il a été à l’origine, avec d’autres, du « Corpus d’éditions critiques », ce projet visant à procurer des éditions scientifiquement établies des classiques de la littérature québécoise depuis le Régime français. C’est à ce titre qu’il a piloté, avec Roméo Arbour et Jean-Louis Major, puis Yvan G. Lepage, le vaste chantier des éditions critiques de la « Bibliothèque du Nouveau Monde » (plus de cinquante titres parus aux Presses de l’Université de Montréal).
Laurent Mailhot a aussi été l’homme d’une revue, Études françaises.
Il y a publié 33 articles et comptes rendus (voir la liste ci-dessous), de 1966 (un compte rendu du collectif Le roman canadien-français) à 2014 (« La “rupture tranquille” de la Francophonie littéraire ontarienne »). S’il me fallait ne retenir qu’un seul de ces textes, ce serait, en 1977, « Classiques canadiens, 1760-1960 » : Laurent Mailhot, peut-être sans le savoir, cartographie par avance le territoire littéraire et critique qu’il va arpenter au cours des trois décennies suivantes.
Laurent Mailhot a aussi été le troisième directeur de la revue, de 1979 à 1987. Michel Lacroix, dans son étude « “L’épreuve de la lecture publique.” Études françaises, la disciplinarisation du savoir et l’idéal du critique-écrivain » (2014), décrit en ces termes l’approche de la critique que Laurent Mailhot y a défendue : « Se campant lui-même dans le rôle d’un éditeur-lecteur, qui accueille avec une exigence forte les textes destinés à la revue, Mailhot donne à la relation propre à la lecture une dimension large, irréductible aux seuls aspects cognitifs, intellectuels. Lire, écrire, c’est vivre avec. La littérature, dans sa création comme dans sa lecture, doit être une “expérience”. »
Cela s’incarnera dans des numéros consacrés à des auteurs (de Villon et Ponge à Paul-Marie Lapointe et Jacques Poulin), à des théoriciens (Mikhaïl Bakhtine), à des approches (la sociocritique, la psychanalyse), à des genres (le manifeste), à la matérialité des textes (deux numéros en 1982 : « L’objet-livre », « Le livre-texte »). Les approches interdisciplinaires fleuriront sous sa gouverne : « Musique et textes » (1981), « Anatomie de l’écriture » (1982), « Le texte scientifique » (1983), « Écrire l’image » (1985), « Cartographies » (1985). De 1983 à 1985, j’ai été le secrétaire de la rédaction de la revue : j’en garde le souvenir d’un apprentissage indispensable à ma vie intellectuelle.
Dès lors, on comprendra sans mal le bonheur que Laurent Mailhot a ressenti quand il a reçu le prix de la revue Études françaises pour son recueil Plaisirs de la prose. Il avait souvent été honoré pour son travail de chercheur : bourse Killam du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (1986), prix André-Laurendeau de l’Association francophone pour le savoir (1987), élection à la Société royale du Canada (1987). En 2005, c’est l’essayiste — même s’il se méfiait de cette étiquette appliquée à lui-même — qui était distingué, par une revue qu’il aimait et qu’il n’a jamais cessé de lire.
Je terminerai sur une note personnelle. Laurent Mailhot a été mon professeur à l’Université de Montréal dans un cours de deuxième année sur l’essai littéraire québécois, puis le directeur de mon mémoire de maîtrise et mon patron (comme moniteur, correcteur, documentaliste, secrétaire de rédaction et assistant de recherche). Après mon embauche comme professeur, en 1992, nous avons été collègues quelques années. Nous avons écrit un livre et des articles ensemble, et dirigé un numéro de revue. Mais, au-delà de ces rapports professionnels, je viens de perdre un ami de quarante ans, de sa maison montréalaise de la rue Piedmont à La Minerve, de Deschaillons-sur-Saint-Laurent à Trois-Rivières. Cette perte m’est lourde.
Publications de Laurent Mailhot dans Études françaises
1. « Le Roman canadien-français, Archives des Lettres canadiennes. Publication du Centre de recherches de littérature canadienne-française de l’Université d’Ottawa, t. III, Montréal / Paris, Fides, 1965, 460 p. », Études françaises, vol. 2, no 1, février 1966, p. 119-125 (compte rendu).
2. « Une critique qui se fait », Études françaises, vol. 2, no 3, octobre 1966, p. 328-347.
3. « Jacques Brault, Alain Grandbois, Paris, Seghers, “Poètes d’aujourd’hui”, 1968, 192 p. », Études françaises, vol. 4, no 4, novembre 1968, p. 440-442 (compte rendu).
4. « Guy Robert, Une mémoire déjà. Poèmes, 1959-1967, Québec, Éditions Garneau, 1968, 100 p. », Études françaises, vol. 4, no 4, novembre 1968, p. 452-454 (compte rendu).
5. « Robert Vigneault, L’Univers féminin dans l’œuvre de Charles Péguy. Essai sur l’imagination créatrice d’un poète, Bruges / Paris, Desclée de Brouwer, Montréal, Les Éditions Bellarmin, “Essais pour notre temps”, no 6, 1967, 334 p. », Études françaises, vol. 5, no 1, février 1969, p. 93-96 (compte rendu).
6. « Yves Préfontaine, Pays sans parole, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1967, 78 p. », Études françaises, vol. 5, no 1, février 1969, p. 105-106.
7. « Yves Thériault, Le Marcheur, Montréal, Leméac, “Théâtre canadien”, 1968, 112 p. », Études françaises, vol. 5, no 1, février 1969, p. 106-108 (compte rendu).
8. « Paul Wyczynski, Émile Nelligan, Montréal et Paris, Fides, “Écrivains canadiens d’aujourd’hui”, 1968, 192 p. », Études françaises, vol. 5, no 2, mai 1969, p. 223-226 (compte rendu).
9. « Alain Pontaut, La Tutelle, Montréal, Leméac, 1968, 141 p. », Études françaises, vol. 5, no 2, mai 1969, p. 233-236 (compte rendu).
10. « Félix-Antoine Savard, Symphonie du Misereor, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, “Voix vivantes”, 1968, 43 p. », Études françaises, vol. 5, no 2, mai 1969, p. 242-243 (compte rendu).
11. « Yves Thériault, Tayaout, fils d’Agaguk, Montréal, Éditions de l’Homme, 1969, 158 p. », Études françaises, vol. 5, no 4, novembre 1969, p. 494-497 (compte rendu).
12. « Louis Geoffroy, Graffiti, Montréal, L’Obscène Nyctalope, 1968, 42 p. », Études françaises, vol. 5, no 4, novembre 1969, p. 497-498 (compte rendu).
13. « Les Belles-soeurs ou l’enfer des femmes », Études françaises, vol. 6, no 1, février 1970, p. 96-104.
14. « Le théâtre de Réjean Ducharme », Études françaises, vol. 6, no 2, mai 1970, p. 131-157.
15. « La critique », Études françaises, vol. 6, no 2, mai 1970, p. 259-276.
16. « La critique », Études françaises, vol. 7, no 2, mai 1971, p. 191-212.
17. « Le théâtre. Des missionnaires aux sauvages ou du sacré au sacrant », Études françaises, vol. 8, no 4, novembre 1972, p. 408-427.
18. « Le théâtre. Répertoires et laboratoires », Études françaises, vol. 9, no 4, novembre 1973, p. 360-368.
19. « Récit / essai. Le Journal dénoué de Fernand Ouellette », Études françaises, vol. 11, no 2, mai 1975, p. 143-150 (compte rendu).
20. « Classiques canadiens, 1760-1960 », Études françaises, vol. 13, nos 3-4, octobre 1977, p. 263-278.
21. « Quinze ans après », Études françaises, vol. 15, nos 1-2, avril 1979, p. 3-5.
22. « Note éditoriale », Études françaises, vol. 17, nos 3-4, octobre 1981, p. 3-4.
23. « Ouvrir le livre », Études françaises, vol. 18, no 2, automne 1982, p. 5-17.
24. « Bibliothèques imaginaires : le livre dans quelques romans québécois », Études françaises, vol. 18, no 3, hiver 1982, p. 81-92.
25. « Note éditoriale », Études françaises, vol. 20, no 1, printemps 1984, p. 3-4.
26. « Note éditoriale », Études françaises, vol. 20, no 3, hiver 1984, p. 3-4.
27. « Présentation. Le voyage total », Études françaises, vol. 21, no 3, hiver 1985, p. 3-5.
28. « André Belleau », Études françaises, vol. 22, no 3, hiver 1986, p. 3-5.
29. Wladimir Krysinski, Laurent Mailhot et Christie McDonald, « Présentation [« L’enseignement de la littérature dans le monde »] », Études françaises, vol. 23, nos 1-2, automne-hiver 1987, p. 7-9.
30. « De Virgile en Claudel », Études françaises, vol. 31, no 2, automne 1995, p. 45-52.
31. « Des nouvelles d’un “auteur nouveau” : La Vie réelle dans l’œuvre de Gilles Marcotte », Études françaises, vol. 33, no 1, printemps 1997, p. 69-93.
32. « Arcand et Bouchard : deux anthropologues dans les lieux dits communs », Études françaises, vol. 36, no 1, 2000, p. 127-149.
33. « La “rupture tranquille” de la Francophonie littéraire ontarienne », Études françaises, vol. 50, nos 1-2, 2014, p. 133-147.